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Le Portfolio de Michel Mée

Tashi Ling : Les Réfugiés Tibétains de Pokhara

Pour les Tibétains, la liberté est un concept culturel plus que politique. Pour les braves drokpa, pasteurs des hauts plateaux des Chang Tang, qui se sont réfugiés au Népal, et spécialement ceux du village de Tashi Ling implanté au sud de Pokhara, à côté de Davis-fall, ces braves drokpa donc ont de temps immémoriaux parcourus les hauts plateaux à la recherche de pacages (pour leurs yacks, moutons et chèvres pashmina ou tchang-ra dont les longs poils servent à tisser châles et gilets) à la suite des pluies sporadiques qui font reverdir pour un temps ce désert d’altitudes.

À l’inverse des autres peuples asiatiques qui les tiennent dans une servitude abjecte, les femmes tibétaines mènent une vie indépendante.
À Tashi Ling elles ont leur propre organisation et l’exile et le changement de mode de vie indu qui a déstabilisé les hommes (ils s’adonnent trop souvent à l’alcool et a l’indolence) a au contraire fortifié les femmes. Leur volonté de survivre et de construire une vie nouvelle pour leurs enfants les a obligées à trouver de nouveaux moyens de subsistance, ce pouvoir économique qu’elles ont acquis de haute lutte leur a conféré un statut que nombre d’autres peuples de la région jalouse plus ou moins ouvertement.
L’activité principale pour garantir un revenu à la communauté fut assurée par une petite fabrique artisanale de tapis confectionnés selon les techniques traditionnelles des hauts plateaux du Tibet, tapis que les Drokpa utilisaient comme tapis de selle ou de literie pour se protéger efficacement du froid mordant des hautes altitudes. La fabrication et l’exportation de tapis tibétains est devenue la deuxième source de revenus en devises étrangères du Népal. Cette industrie est maintenant en perte de vitesse suite sans doute aux changements économiques et de modes en occident notamment en Allemagne.
Un atelier de ferronnerie et de petite mécanique a lui périclité depuis longtemps !

Une bonne moitié de la population féminine du village, arpente en journée les berges du lac en quête de touristes en attente de départ en treks ou ceux qui en villégiature passent la saison froide au Népal pour dès les prémices de la mousson regagner leur contrée du nord. Elles leur vendent collier bracelet, bagues et autres souvenirs et c’est bien souvent leur seul moyen de subsistance.
Les revenus engendrés par le tourisme ainsi que la sympathie que nombre de visiteurs ont pour la cause tibétaine, ont généré le surplus qui a permis l’éducation de la génération montante (la plupart des femmes d’âge moyen ou plus sont analphabètes), et avec l’aide internationale, la construction d’un jardin d’enfants ou les plus jeunes commence leur apprentissage, d’une école primaire et d’un dispensaire.

Comme au Tibet, la question des Tibétains c’est la question du plus faible face au plus fort, c’est la question du droit au plus faible d’exister.
Le Népal, ne cesse de renforcer les restrictions dont sont victime les réfugiés du Tibet, ceux arrivés après 1989 n’ont plus droit au statut de réfugié et sont donc privé de toute existence légale, donc d’emploi, de permis de conduire, d’ouvrir un compte bancaire, etc.
Ceux arrivés avant 1989 et leur progéniture sont reconnus comme réfugiés et le gouvernement leur délivre certificat (RC), ils peuvent rester au Népal, mais avec certains droits civils limités notamment le droit de manifester, de voyager et l’impossibilité de détenir un compte bancaire.

La police qui au Népal est largement corrompue, « interprète » la loi de telle sorte qu’elle soit toujours défavorable aux réfugiés qui en ont une peur bleue.

Une des femmes du village de Tashi Ling au printemps 2013 a été accidentée sur la route de Katmandou à Pokhara, le Minibus ou elle avait pris place ayant heurté frontalement un poids lourd, bilan, une cheville cassée ! les secours et la police ont évacué les autres blessés et l’ont laissé au bord de la route… Elle a donc marché quatre kilomètres pour rejoindre le village suivant puis pris un bus local pour Pokhara et a été hospitalisée le lendemain. (J’ai payé la note d’hôpital)

La Nurse du dispensaire, a tenté à plusieurs reprises d’obtenir la nationalité népalaise à laquelle elle a droit, son père étant originaire du village de Tarap (Dho) au Dolpo, sa mère et ses grands-parents maternels sont arrivés lors de l’exode de 1959, après plusieurs mois traqués par l’armée chinoise au travers des Chang Tang (chinois qui avait violé, pillé et torturé dans leur village d’origine), franchissant la frontière après une bataille épique probablement au col de Marin La (altitude : 5488 m), pour rejoindre Tingkyu et de là Tarap (Dho) ou père et mère se sont rencontrés et marié. Ils rejoindront alors le Mustang par la vallée de Chharka puis en longeant la Kali Gandaki arriveront à Pokhara.
Notre nurse a aussi une autre bonne raison de demander la nationalité népalaise puisque sont mari est lui-même népalais, c’est un Sherpa de la vallée du Khumbu (région de l’Everest) qui, orphelin, a depuis son enfance vécu au village.
D’après la loi, toute étrangère mariée à un népalais peut obtenir la nationalité népalaise sans condition ce qui n’est pas le cas pour un homme qui devra patienter quinze ans et parler un népalais parfait ce dont sont incapables les deux tiers de la population.
Avoir donc un parent originaire du Tibet vous prive donc de la nationalité, votre mari et votre père seraient-ils eux même Népalais !

Le bouddhisme tibétain est le socle commun de leur culture, leur ciment identitaire : les Tibétains ne souhaitent rien de moins que de pouvoir aller et se déplacer à leur guise et toutes les femmes et nombre d’hommes ne rêvent que de voyages et surtout de pèlerinages.
Au coucher du soleil et parfois jusqu’a la nuit noire, seule ou en groupe, les femmes et hommes vont faire le tour du monastère (faire kora) qui est au cœur du village, actionnant les moulins à prière du mur à Mani (quand ils ont achevé de tourner, l’initiateur du mouvement est censé avoir récité tous les mantras contenus dans les moulins), ou égrenant leur chapelet en récitant d’une voix diphonique le mantra « om mani padme hum » ou simplement en parlant de la pluie et du beau temps, de leurs projets et de leurs peines.

J’ai toujours été impressionné par l’ingéniosité des Tibétains qui ont utilisé toutes les techniques à leur disposition pour que leurs prières se diffusent le plus largement sans qu’ils aient à intervenir ou si peux, depuis les chevaux du vent, que les touristes qui ont l’art de tout enlaidir appellent drapeaux à prières, qui en claquant au vent distribuent leurs mantras aux quatre points cardinaux, et que l’on attache à l’entrée des maisons, aux stupas et aux temples, dans les cols, ou simplement aux ponts et passerelles et dans tous les lieux dangereux ou remarquables, jusqu’aux moulins à prière actionnés par le vent, par l’eau, etc. Il semblerait d’ailleurs que ce soit la seule industrie qui ne les ait jamais passionnés. Les dévots peuvent aller boire, manger ou dormir, pendant que la mécanique a l’extrême complaisance de prier pour eux.

Le katha, ou écharpe de bonheur, et le vecteur par lequel on fait connaitre à son interlocuteur la pureté de ses sentiments, sa sincérité et son aptitude à la compassion, c’est une écharpe en soie frangée aux deux bouts, blanche ou dorée, mais qui peut aussi être d’une des couleurs des cinq éléments, bleu, blanc, rouge, vert et jaune pour la terre, l’air, l’eau, le feu et l’espace, ces mêmes couleurs sont aussi celles des chevaux du vent (drapeaux à prières) ou des oriflammes qui agrémentent la cour de chaque maison et les lieux saints. Cette tradition, apparue avant l’introduction du bouddhisme au Tibet, est une des survivances de la religion bön que certains pratiquent encore. Chacun se doit d’avoir en stock moult Khata, pour fêter une arrivé, souhaiter un bon voyage, accueillir un lama, présenter une requête, ou pour fêter de jeunes mariés qui en reçoivent alors plusieurs centaines, qu’ils redistribueront au grès des événements futurs. La plus belle parole et le plus beau cadeau, la plus belle lettre de remerciement ou carte de vœux ne sont rien s’ils ne sont pas accompagnés d’un katha. Le cadeau le plus commun accompagné d’un katha acquiert ainsi une grande valeur, même si les Tibétains qui ne manquent pas d’humour, en privé, agrémentent ce don de commentaires désopilants. Si l’on vient à vous demander aide ou assistance, le katha à la main, il vous sera bien difficile de la refuser, vous prendriez alors le risque d’être déconsidéré.

La tsampa, ou farine d’orge torréfiée, et l’aliment traditionnel de base des Tibétains et nombres de personnes âgées au village de Tashi Ling en consomme encore quotidiennement avec du thé beurré (au beurre de yack rance s’il vous plait) et salé, ou simplement malaxé avec du beurre. Les générations plus jeunes se sont elles adaptées au régime népalais et leur aliment de base est le Dhal bath (riz, lentilles, curry de légumes) qu’ils accompagnent d’un curry de viande. Les jours de fête, les femmes de la maison font des momos, sorte de raviolis tibétains fourrés à la viande de buffle ou de yack et aux herbes, soit cuit à la vapeur soit frit et que l’on consomme assaisonnés d’une sauce pimentée à l’extrême, comme toute la cuisine tibétaine.
À la sortie du village vers Chhorepatan, quelques restaurants tenus par des gens du village servent d’excellents momos et des nouilles sautées.
La tsampa fait aussi partie intégrante des rituels tibétains, le lama sculptera alors les tormas (gâteaux sacrificiels) dans une pâte composée d’eau et de tsampa, puis les décorera ensuite avec du beurre teinté ou non a l’aide de colorants naturels.

Losar (le Nouvel An tibétain) est la fête la plus importante de l’année, cette tradition remonte au règne de Nyatri Tsenpo au 2e siècle av. J.-C.. Les célébrations dureront 3 jours, mais auparavant chaque maison aura été nettoyée de fond en comble et repeinte, les achards fermentent doucement posé sur un coin de mur au soleil du printemps qui s’annonce, les femmes se seront baignée à la rivière avant de boire un thé beurré agrémenté d’histoire paillarde dont les Tibétains raffolent puis se sera le jour de la toilette des hommes, après qu’ils aient cuit dans l’huile les khapses (sorte de pâtisseries à base de farine, d’eau, de sucre et de beurre qu’on offre pour Losar) et que les femmes aient brassé le chaang sorte de bière de riz agrémenté d’abricot sec et de petit bout de fromage de yack, le tout ayant un gout aigrelet qui n’est pas sans rappeler la « Berliner Kindl Weiße bier », on mangera la Thukpa Batuk, soupe de nouilles dont le fond doit être composé de neuf éléments différents (viande, fromage de yack, haricots radis noirs, etc.).
Ensuite, la femme la plus âgée de la maison distribue à tous une boulette de Tsampa dont chacun se frottera le corps en insistant sur les parties les plus sensibles, puis pressera cette boulette pour y laisser ses empreintes. Les boulettes sont ensuite rassemblées autour d’un torma et l’ensemble est déposé au fond du jardin pour éloigner les esprits négatifs de la maison. Enfin, chacun choisira dans un bol à offrande une petite boule de pâte à pain dans laquelle on a caché un minuscule bout de papier sur lequel est inscrite la phrase qui devrait régir l’année nouvelle de celui qui la reçoit.

Le jour suivant est le premier jour de Losar on déjeunera de riz au lait arrosé de chaang, les offrande de beurre, de chaang, Kapse, riz au lait, fruits ayant été disposé sur l’hôtel familial, sous la photographie du Dalaï-Lama ornée d’un katha, après avoir chanté/récité quelques mantras, et prié en famille, le village ayant revêtu ses habits neufs, la fête peut commencer. On s’échange les cadeaux. Les meilleurs amis, timidement, font leur apparition, en entrant il saisisse dans un coffret finement ouvragé une pincée de tsampa qu’ils jettent en l’air en criant « Tashi Delek » recommence trois fois, boivent eu thé beurré et papotent en grignotant khapse et sucreries… Après un repas, dont la portion carnée et digne d’un tibétain apparaissent dominos, dés et cartes, on jouera jusqu’à la nuit…

Le deuxième jour est celui des visites, c’est portes ouvertes au village, l’arrivant jette, qui une pincé, qui une poignée, de tsampa sur ses hôtes. Chacun a revêtu ses plus beaux atours, robe et tablier de soie, veste de brocard, chemises en lin, tuniques en laine, bijoux en or, corail et turquoise, ou jades. À neuf heures, tous ceux qui ne sont pas du groupe organisateur de la fête (le village est divisé en trois groupes qui changent d’affectation tous les ans, entretien, fêtes,etc.) se retrouvent à la salle des fêtes, ou après les discours de bienvenue des organisateurs et personnalités, l’hommage au Dalaï-Lama et la prière, commencent danses, distribution de thé beurré, plaisanteries, badinages, joutes verbales, tandis que dehors se prépare un repas pantagruélique et que les acharnés du jeu ont repris leurs parties de plus belles… les enfants se régalent de limonade jaune fluo, danse et jouent, tandis que des Népalais profitent de l’aubaine pour se rassasier de viande grasse et de riz… Au village toutes les ethnies des montagnes du Népal (qui sont toutes apparentées aux Tibétains ne serais ce que par leurs langues), sont représentées, il y a des Dolpa qui viennent du Dolpo, des Lopa du haut Mustang, des Manangi, des Tamang, des Sherpa, des Gurung et quelques réfugiés plus récents du Kham… La fête prendra fin avec le jour et après la danse du Yack et les pitreries des jeunes hommes, on mangera une soupe légère avant l’extinction des feux.

Le troisième jour au matin on change oriflammes et chevaux du vent, les bannières claquent au vent, on procède à la cérémonie de la fumigation, en brûlant du genévrier. Ceci fait, la fête est finie.

Le tibétain est moqueur et enjoué, chacun a un surnom, il y a « Grosse-Joues », « Raz Mottes », « Foldingue », « Petite Sœur », « City Bus », « Namaste » (un pauvre hère, homme à tout faire du village), « Doucement, doucement… » (en Français SVP), etc.… et « Kerozène » qui a penchant marqué pour le Raxi (gnole de riz).
Après s’être copieusement désaltérée, elle passe soirées et nuits à gueuler dans son estanco.
Le matin, surtout quand son voisin souhaite flemmarder un peu au lit, elle lui met, à fond sur sa chaine stéréo, les mantras à la mode du moment tout en grommelant, moulin à prière en main…

L’essence de la nation chinoise est exclusive, à l’inverse, les Tibétains n’ont pas envers les autres ethnies ou nations un regard méprisant, pour eux, chaque homme est digne d’estime, même leur pire ennemi. il est courant que des bus bondés de Chinois viennent visiter le village, ils y sont accueillis comme l’aurait été n'importe quels autres touristes, avec gentillesse.

On me reprochera sans doute, dans ce texte, de ne pas agir pour la cause tibétaine, je comprends bien que les dames patronnesses et les âmes charitables qui emplissent internet de statistique plus ou moins fausse de commentaires délirants puissent ne pas apprécier qu’en disant la simple vérité, je casse un peu leur hochet. « Si nous voulons donner véritablement un sens à notre vie et être heureux, commençons à penser sainement. Cultivons les qualités humaines que nous possédons tous, mais laissons enfouies sous les pensées confuses et les émotions négativent » Tenzin Gyatso XIVe Dalai-Lama

La vie au village tibétain est ponctué de nombreuses fêtes, anniversaire du Dalaï-lama, Tihar, Noël, etc. toutes les occasions sont bonnes ! la vie au village de Tashiling est une fête.

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