Voyageur
Photographe

Le Portfolio de Michel Mée

Le voyage en Inde

Nous sommes arrivés exténués Quentin et moi à Bhopal, capitale du Madhya Pradesh. Ce qui n’est guère dans nos habitudes ni dans nos moyens, nous avons loué la meilleure chambre que nous avons trouvée, sur Hamidia Road, non loin de la gare ferroviaire.

Pendant que mon compagnon essaye de se ressusciter par une interminable douche froide, je bricole une télé hors d’âge et rétive qui finalement se met à parler français, il y a là un fonctionnaire de la communauté européenne qui propose d’envoyer des vaches à l’Inde pour renouveler son cheptel… Le ministre de l’Agriculture de l’Inde que les indigènes qui ont un sens de l’humour qui a d’égales que leur désespoir appelle « Monsieur le ministre délégué aux terrains de golf », prend ensuite la parole pour, en anglais, remercier chaleureusement son interlocuteur et lui demande une faveur : « serait-il possible d’apprendre à vos vaches à manger dans les poubelles avant de nous les expédier ! »
Notre Européen, tout sourire se prépare à reprendre la parole, puis verdit peu à peu en écoutant la traduction qui lui est faite… C’est un vrai plaisir de retrouver la civilisation !…

Je sors de mes pensés moroses quand j’entends de grands éclats de rire dans la ruelle, par la fenêtre je regarde trois étages plus bas, deux Indiens en train de se savonner sous la douche de Quentin qui s’évacue directement dans l’étroit boyau en dessinant une jolie courbe à la Manneken pis.

Après ma douche tandis que Quentin dort, je descends prendre l’air. Notre hôtel, qui a belle mine coté face, est coté ruelle, sordide comme il se doit. Dans la lumière blafarde du jour qui descend, il me faut zigzaguer entre les immondices et détritus qui jonchent le sol et aussi quelques parias, couchés là, par familles entières, prêtent à dormir. Plus loin, une pute aux amples formes s’accroche à moi : au physique c’est un croisement entre les prostituées mexicaines de Henri Carier Bresson et une femme de Botero avec en plus des lèvres lippues, elle a senti mon fric et j’ai beaucoup de mal à passer mon chemin tant elle obstrue savamment le passage.

Notre hôtel est à deux pas de la gare ferroviaire, et à un quart d’heure à pied de l’usine d’Union Carbide Corporation ou a eu lieu le 3 décembre 1984 la pire catastrophe industrielle de l’histoire qui a faite au bas mot vingt milles morts et trois cents milles blessés (environ un cinquième de la population de la ville), tous empoisonnés par les quarante tonnes d’isocyanate de méthyle (MIC, composant des insecticides Temik et le Sevin, proche du « Zyklon B » de sinistre mémoire !) relâchées dans l’atmosphère à la suite d’une fausse manœuvre et d’une vanne défectueuse.

Union Carbide Corporation fut ensuite rachetée par Dow Chemical qui a laissé le site à l'abandon sans dépolluer. Tout les bidonvilles qui, comme partout en Inde, se sont construits autour de l’usine et le long des voies ferrées n’ont accès qu’a l’eau polluée des nappes phréatiques, vingt ans plus tard, plusieurs dizaines de personnes en meurent chaque mois.

Bhopal, l’ancienne capitale des Nababs et Bégums, est une ville étrange, la population musulmane très minoritaire dans le reste de l’Inde atteint ici les quarante pour cent, face à une courte majorité hindoue, la partie nord de la ville où se trouve notre hôtel est musulmane, la partie au sud des lacs est hindoue. Au nord donc, le vendredi est férié, vient ensuite le week-end, héritage de l’occupation britannique, durant lequel toutes les administrations, banques,etc. sont closes, puis le lundi, où toutes les échoppes hindoues sont fermées, la ville tourne donc au ralenti quatre jours par semaine, sans compter les innombrables fêtes généralement religieuses.

Ici, il est possible de croiser un éléphant qui obstrue complètement une des étroites venelles du bazar, un troupeau de buffles en train de se nourrir dans les ordures entassées ça et la qui atteignent parfois les rebords des fenêtres du premier étage, des vaches efflanquées, saintes et crottées, le regard vide, qui marche vers une hypothétique subsistance en mâchonnant un bout de carton ondulé.
La douce odeur des encens mélangée aux odeurs méphitiques de la misère ou celle des Samoussas graisseux d’un marchand de tourista jalonnent l’avancée de la foule innombrable qui se heurte, se frôle, se bouscule vers un avenir aléatoire.

En milieu d’après-midi, après avoir baguenaudé dans les ruelles du bazar, acheté un kurta pour ma fille et visité la Jama Masjid, magnifique mosquée bleue, nous débouchons sur l’esplanade de Taj-ul-Masajid, plus grandes mosquées d’Asie dit-on, construite sous le règne de Shah Jahan (1838-1901), Begum de Bhopal. L’esplanade de la mosquée est entourée de médersa (écoles coraniques). Après notre visite du lieu de culte totalement désert, à l’heure de la sortie des classes, elles déversent devant nous une flopée d’enfants qui à quelques mètres de distance nous étudient frénétiquement, nous montrant du doigt, chuchotant entre eux, supputant notre mansuétude sans doute. Après cinq bonnes minutes sous leurs regards noirs et étonnés un tout petit fait quelques pas vers nous et saisi la main que je lui tends ponctué d’un « Salam aleykoum » de bienvenue et aussitôt, c’est la curée, chacun veut nous toucher, nous ausculter, nous disséquer, je frappe dans les mains de centaines d’enfants que je ne comprends pas et qui ne me comprennent pas, mais qui s’esclaffent de bon cœur, jubilent, tandis que j’essaye de saisir ce qui en nous déclenche leur hilarité ! puis arrivent leurs professeurs, barbus à l’air réservé et fier qui dispersent ce petit monde qui s’en va nous zieuter d’un peu plus loin tandis que nous nous essayons avec leurs enseignants de converser en anglais, sans grand succès.

Au retour nous sommes happé par une foule de zélateurs de l’Islam qui après la prière du vendredi se déverse sur la place et dans les rues à proximité de la Mandi Masjid et manifeste bruyamment, banderoles de l’islam et drapeaux verts au vent, le regard fou, cette foule d’allumés, enragés, se rue face à nous quand une main bienveillante nous attire vers une boutique dont le rideau de fer est à moitié baissé, c’est une boutique de tissus, soieries et brocarts aux couleurs chatoyantes où je continue mes achats.

Face à nous arrive une femme qui à quatre pattes se traine sur le trottoir entre deux quintes de toux qui lui déchirent les poumons. Elle a un oeil blanc, aveugle, et tous les stigmates d’un empoisonnement au MIC, lorsque nous arrivons à sa hauteur, je luis glisse discrètement un billet de dix dollars, elle me dévisage de son œil valide, estomaqué, puis regarde le billet d’un air interrogateur et promptement le fait disparaitre par l’ouverture de son choli (corsage, brassière), je lui fais un petit signe de tête, elle continue son chemin sa bouche édentée, tordue par la douleur.

(la suite de ce texte est en cours d'écriture)

 

voir la galerie

Ces galeries pourraient aussi vous intéresser…

Birmanie
La Birmanie, le Pays de l’Or, ou du Rubi, c’est selon, est à la charnière de l’Asie du Sud, du Sud-est et de l’Asie centrale, elle a des frontières communes avec le Bangladesh, l’Inde, le Tibet (occupé par la Chine), la Chine, le Laos et la Thaïlande.
voir la galerie
Delhi intouchables

Il en arrive tout les jours, du lointain Assam, du Nagaland à la frontière birmane, du Maharashtra et de toutes les régions de l’Inde. Il trouve ici refuge pour se soustraire au racisme de caste institutionnalisé, fondé sur le déni…
voir la galerie

Réfugiés Tibétains
Pour les Tibétains, la liberté est un concept culturel plus que politique.
Pour les braves drokpa, pasteurs des hauts plateaux des Chang Tang, qui se sont réfugiés au Népal…

voir la galerie
Entre Inde et Tibet
Le Népal se présente comme une étroite bande de terre Enclavé entre le Tibet, occupé par la Chine au nord, et l'Inde au sud, il est à cheval sur la frontière entre l'Asie du Sud et l'Asie centrale.

voir la galerie